Revue des marchés du 4e trimestre 2023

COMMENTAIRE ÉCONOMIQUE

Les marchés boursiers mondiaux ont poursuivi leur trajectoire baissière au début du quatrième trimestre, entrant brièvement en correction (défini par une baisse supérieure à 10 % par rapport au sommet précédent), mais se sont fortement redressés à partir de la fin d'octobre lorsque les intervenants se sont convaincus que la Réserve fédérale avait non seulement réussi à contrecarrer la menace d'inflation, mais l'avait fait sans provoquer de récession. Pour être plus précis, l'indice MSCI All Country World[1], l'indice S&P 500 et l'indice composé S&P/TSX ont gagné 9,38 %, 11,55 % et 8,10 %, respectivement, au cours du trimestre. Pour l'année, les mêmes indices ont augmenté de 21,61 %, 25,67 % et 11,75 %, respectivement. Les attentes de bénéfices des entreprises américaines ne se sont pas améliorées de manière significative, mais la confiance du marché dans un pivot imminent de la politique de la Réserve fédérale a alimenté une augmentation du multiple de bénéfices de 20x à 23x entre fin octobre et fin décembre. Contrairement au passé récent, lorsque les fluctuations des marchés boursiers ont été dictées par un petit nombre d'actions à grande capitalisation, la reprise du quatrième trimestre a été plus universelle. Pour une fois, les actions à petite capitalisation ont également participé à la reprise. Le seul grand marché à la traîne a été une fois de plus la Chine, où les effets secondaires d'un krach immobilier résidentiel en cours se faisaient sentir dans tous les secteurs.

Les marchés obligataires sont sortis du marasme dans lequel ils étaient pris depuis 2020 en même temps que les actions. Plus précisément, l'indice ICE Bank of America Global Government Bond et l'indice ICE Bank of America Global Corporate & High Yield ont rapporté 5,23 % et 7,03 %, respectivement. Au Canada, l'indice ICE Bank of America Canada Broad Market a progressé de 8,23 %. Pour la plupart des segments du marché des titres à revenu fixe, il s'agissait du meilleur trimestre depuis le deuxième trimestre de 2009. Pour 2023, les indices ci-dessus ont rapporté 3,92 %, 8,83 % et 6,38 %, respectivement. Ainsi, les investisseurs en titres à revenu fixe ont échappé pour la première fois à la perspective d'une troisième année consécutive de baisse. Alors que les taux d'intérêt ont baissé davantage sur les échéances éloignées à court terme (baisse de 0,90 % de moins pour les obligations gouvernementales canadiennes et de plus 1,00 % pour les obligations du Trésor américain à 10 ans d'échéance), les obligations à plus longue durée ont surperformé les actions. Par exemple, l'indice ICE Bank of America 10+ Year Canada Broad Market a rapporté 14,79 % au quatrième trimestre, son meilleur trimestre depuis sa création en 1992. Nous avons beaucoup écrit sur l’amélioration des rendements potentiels du marché des titres à revenu fixe au cours des derniers mois et avons heureusement été en mesure d'en profiter dans les mandats où nous avions la flexibilité. Cela a permis aux portefeuilles de nombreux clients de poursuivre leur séquence de surperformance de l'indice de référence malgré le fait qu'ils aient été sensiblement sous-exposés aux obligations à long terme jusqu'à la fin octobre. Cela étant dit, puisque le rendement à l'échéance sur l'indice ci-dessus est passé de 4,89 % à 3,89 % entre fin octobre et fin décembre, nous avons déjà réduit l'exposition à ce thème tactique.

LE MARCHÉ N'EST PAS LE MARCHÉ

Beaucoup a été dit et écrit sur le Magnificent 7[2], un groupe de sociétés à méga capitalisation[3] qui a affiché un rendement moyen de 111 % en 2023[4], provoquant à nouveau la consternation dans la communauté des gestionnaires actifs d'actions. Au fil des ans, de nombreux investisseurs sont arrivés à la conclusion que la gestion active des actions est un jeu où il n’y a que des perdants. Incidemment, les trois fonds négociés en bourse (« FNB ») américains les plus populaires (le SPDR S&P 500 Index Trust (symbole : SPY), le iShares Core S&P 500 ETF (symbole : IVV) et le Vanguard 500 Index ETF (symbole : VOO)), avaient des actifs combinés de 1,3 trillion de dollars américains en décembre 2023. Ces trois FNB représentent à eux seuls environ 3 % de la valeur du S&P 500[5] et, en 2023 seulement, ont enregistré des entrées nettes de plus de 120 milliards de dollars américains. Il ne s’agit que de 3 FNB. Dans l'ensemble, une étude de 2021[6] a estimé que les fonds d'investissement passifs détenaient environ 16 % de l'ensemble du marché boursier américain, une proportion qui a certainement augmenté depuis. En fait, une autre recherche a estimé que, si cette tendance se poursuivait, les stratégies d'investissement passives en actions dépasseraient les stratégies d'investissement actives d'ici 2026[7].

« Pourquoi s'embêter avec la sélection de titres si je ne peux pas battre le marché? Je vais me contenter du marché. » Nous avons perdu le compte du nombre de fois où nous avons entendu ce commentaire au cours des dernières années. Mais la question que nous posons est la suivante : « Est-il possible que, tout en pensant que vous possédez le marché, en réalité vous ne le possédiez pas ? » Présentement, le Magnificent 7 représente environ 27 % de l'indice S&P 500[8] et environ 16 % du marché boursier mondial[9]. Les actions du groupe ont contribué à environ 70 % de l'appréciation de 25,67 % du S&P en 2023[10]. En revanche, plus de 300 des composantes de l'indice S&P 500 représentaient moins de 20 % de l'indice et pesaient 0,05 % chacune en moyenne[11]. Il s'avère que posséder le marché signifie détenir un petit groupe de grandes positions accompagnées de quelques centaines de positions inutiles. Du point de vue de la diversification, il est facile de démontrer comment un gestionnaire actif détenant aussi peu que 30 positions d'une manière équipondérée peut en fait être moins risqué que l'indice.

Bien que le marché n'ait pas toujours été aussi concentré au sommet, la composition du marché boursier américain qui prévalait il y a 50 ans (1973) ressemble à celle en vigueur aujourd'hui. C'était une époque où IBM, AT&T, Exxon, Eastman Kodak et General Motors représentaient collectivement 25 % du marché. C'était l'apogée de Nifty Fifty, une période au cours de laquelle un certain nombre d'actions ont été désignées comme des « achats sans réfléchir » par des institutions respectées de Wall Street telles que Morgan Guarantee Trust et Kidder Peabody.

Même si le marché a plus que triplé entre 1973 et 1992, cela ne signifie pas que le fait que le marché soit fortement concentré au sommet implique l'imminence d'une chute spectaculaire. Cela pourrait signifier, cependant, que la gestion active ne sera peut-être pas si mauvaise à l'avenir. Pourquoi ? Parce qu'aucun des géants industriels d'il y a 50 ans n'a de poids significatif dans l'indice aujourd'hui. En tant que tel, cela signifie que l'indice est équipé d'une fonction de correction automatique qui réduit progressivement le poids des entreprises en difficulté et augmente le poids de celles qui réussissent. La mauvaise nouvelle est que ce processus peut prendre un certain temps lorsque les entreprises recyclées sont exceptionnellement grandes. Par exemple, ce n'est qu'en 2008 et 2012 que General Motors et Eastman Kodak ont respectivement demandé la protection de la loi sur les faillites, et AT&T n'a pas vu sa pondération baisser de 5 % à son poids actuel d'environ 0,30 % du jour au lendemain. Fondamentalement, ce que nous disons, c'est que la décision de sous-pondérer les grandes entreprises malades ou mourantes pourrait générer des avantages de surperformance au-delà de quelques trimestres. Bien sûr, nous pouvons soutenir que les leaders industriels de 1973 ont peu en commun avec les leaders technologiques d'aujourd'hui, car les effets de réseau rendent les joueurs dominants d’aujourd’hui presque impénétrables. Peut-être, mais en 1973, l'optimisme envers les actions Nifty Fifty était consensuel. En fait, l'action moyenne incluse dans le groupe Nifty Fifty avait un ratio cours/bénéfice moyen (« PE ») supérieur à 40x à la fin de 1972 par rapport au PE du S&P 500 de moins de 20x. C'est à peine plus que la prime de PE que l'action moyenne Magnificent 7 commande par rapport au marché d'aujourd'hui. Pourtant, cela n'a pas empêché l'action des titres contenus dans le groupe Nifty Fifty de baisser de 19 % en 1973 et de 38 % l'année suivante[12] par rapport à une baisse du S&P 500 de 14 % en 1973 et de 26 % en 1974 après que l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole ait imposé un embargo qui a mis à rude épreuve une économie américaine devenue dépendante du pétrole étranger.

Actuellement, le Magnificent 7 fonctionne à plein régime, tout comme le groupe Nifty Fifty jusqu'au milieu de 1973. Ironiquement, chaque fois qu'un investisseur laisse tomber un gestionnaire d'actions actif en faveur d'un fonds indiciel ou d'un FNB, moins de dollars est réaffectés à ces derniers qu’au Magnificent 7 parce que presque tous les gestionnaires actifs restent sous-pondérés en actions Magnificent 7. Dès lors, quand un investisseur adopte la gestion passive, cela se traduit par une réaffectation des dollars du marché vers les actions Magnificent 7 puisque, comme nous l'avons souligné ci-dessus, le marché n'est pas ce que vous pensez. Beaucoup d'investisseurs passifs ne se soucient pas de la composition des fonds négociés en bourse qu'ils possèdent. Ils les considèrent comme une représentation équitable du marché auquel ils cherchent à être exposés. Ce n'est pas toujours le cas.

SAGESSE DE LA FOULE OU SAGESSE DANS LA FOULE

L'économiste d'origine canadienne John Kenneth Galbraith[13] aurait dit un jour que « la seule fonction des prévisions économiques est de rendre l'astrologie respectable ». Nous ne savons pas si Galbraith était plus respecté pour son sens de l'humour ou pour sa capacité de prévision par ses pairs, mais l'histoire récente a malheureusement donné du crédit à sa plaisanterie. À titre d’exemple, en janvier 2023, la majorité des économistes prédisaient une récession aux États-Unis. Cette récession ne s'est pas encore concrétisée, en grande partie parce que les modèles ont sous-estimé la capacité des ménages à résister à un choc des taux d'intérêt. On ne sait pas très bien pourquoi. De plus, lorsque les médias se sont enquis auprès des stratèges de Wall Street à quel niveau ils prévoyaient que l'indice S&P 500 finirait en 2023, les prévisions se situaient entre 3400[14] et 4750[15] avec une moyenne de seulement 4100. Or, le S&P 500 a terminé l'année 2023 à 4769, surpassant même les prévisions les plus optimistes du groupe. Il semble que les stratèges ne s'attendaient pas à ce que le thème de l'IA ait un impact aussi spectaculaire ou que les multiples d'évaluation restent au-dessus de la moyenne historique, même si les taux d'intérêt à long terme étaient en hausse.

Pourtant, malgré les nombreuses lacunes de la science, nous considérons toujours préférable de prêter attention aux attentes consensuelles plutôt qu'aux attentes d'un individu distingué, qu'il s'agisse d'un économiste ou d'un astrologue. La raison principale est que le consensus révèle ce que la personne moyenne pense et pourquoi. Indirectement, il indique ce qui amènera la personne moyenne à changer d'opinion et à mettre à jour ses prévisions à mesure que de nouveaux renseignements arrivent qui invalident l'information initiale. En ce sens, les points de vue de la foule n'ont peut-être pas beaucoup de valeur prédictive, mais ils sont néanmoins informatifs. En revanche, nous ne pensons pas que les prévisions des individus apportent une quelconque valeur, aussi célèbres que puissent être ces individus. En fait, nous soupçonnons que le fait de le lire dans la presse spécialisée ou d'écouter un gestionnaire de portefeuille ou un gourou de l'investissement à la télévision peut être la plus grande source d'occasions manquées pour les investisseurs. Pourquoi ? Parce que ces derniers ont tendance à prédire des krachs boursiers imminents beaucoup plus fréquemment que les krachs du marché se produisent. En quelque sorte, quiconque ingère les opinions de prétendus experts passe probablement une partie anormale de sa carrière d'investissement en encaisse, ce qui est certainement la plus grande source d'occasions manquées.

CALIBRAGE DU PORTEFEUILLE POUR 2024

Comme mentionné ci-dessus, 2023 fut une expérience empreinte d'humilité du point de vue de la précision des prévisions. Cela devrait nous rappeler à tous les praticiens qu'au fond de nous, nous en savons moins sur le fonctionnement interne des marchés financiers que nous ne sommes prêts à l'admettre, peu importe le détail des modèles que nous utilisons. Pourtant, alors que nous tournons la page pour faire face à 2024, nous ne pouvons résister à la tentation de faire des prévisions sur les marchés financiers. C'est un besoin biologique, profondément enraciné dans notre cerveau reptilien. Il nous commande d'essayer de donner un sens à l'environnement complexe qui nous entoure pour mieux le contrôler et nous sentir plus en sécurité.

Dans cet esprit, permettez-nous de nous acquitter de cette tâche. Nous devons avouer que nous n'avons pas beaucoup de convictions fortes pour 2024. Cela signifie que nos points de vue ne s'écartent pas beaucoup du consensus et de ce qui est actuellement pris en compte. Notre scénario de base est que les actions progressent modestement, avec une légère préférence pour les actions non américaines et à petite capitalisation. Contrairement à 2023, nous nous attendons à ce que la progression provienne de la croissance des bénéfices plutôt que par une augmentation du multiple des bénéfices. En ce qui concerne les titres à revenu fixe, nous nous attendons à ce que les taux directeurs des banques centrales diminuent de 0,75 % pour s'installer à 1,25 % en Amérique du Nord par rapport à leurs niveaux actuels. Au moment d'écrire ces lignes, c'est relativement consensuel aussi. Nous sommes conscients que certains participants au marché réclament à une réduction de plus de 2 % du taux directeur américain, mais nous pensons qu'en dehors d'un scénario de récession sévère, la Réserve fédérale voudra maintenir un coussin significatif au cas où elle devrait réagir. Ce qu’elle n'avait pas en 2018 et cela a affecté sa capacité à stimuler l'économie lorsque la pandémie a frappé parce que les taux étaient déjà très bas au départ. Par conséquent, nous pensons que les taux à court terme inférieurs à 3,5 % d'ici la fin de 2024 sont peu probables. En ce qui concerne les taux à long terme, la tendance à la normalisation qui a commencé au deuxième trimestre de 2023, lorsque le rendement des obligations gouvernementales à 10 ans était inférieur de près de 2 % au taux des bons du Trésor à 3 mois (et de seulement 0,70 % à la mi-octobre) s’est presque complètement renversée à la fin de l'année. Ainsi, nous estimons que les instruments à revenu fixe à long terme ne profiteront pas beaucoup de la baisse prévue des taux à court terme. Rétrospectivement, il semble que la période pendant laquelle il était possible de profiter de la baisse des taux à long terme n'ait duré que 6 à 8 semaines Il est maintenant trop tard.

Lorsqu'il s'agit de réfléchir à ce qui pourrait amener les prévisions à s'écarter de manière significative des scénarios de base décrits ci-dessus, nous sommes plus préoccupés par les risques baissiers résultant d'une expansion du conflit au Moyen-Orient que par une détérioration du conflit en Europe de l'Est ou l'escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine à la suite de l'élection du parti nationaliste taïwanais de centre-gauche le 13 janvier. Le risque d'une élection présidentielle américaine contestée en 2024 est également préoccupant, mais les répercussions d'une telle élection se joueraient en 2025, sinon plus tard. Nous sommes également attentifs à une augmentation des défauts de paiement des entreprises, en particulier dans le secteur de l'immobilier. Beaucoup de stress semble déjà pris en compte. Néanmoins, nous craignons que le consensus ne soit pas assez pessimiste.

En résumé, sans forte conviction dans l'une ou l'autre direction pour l'une des principales classes d'actifs, mais avec l'idée que les mises à jour économiques à venir sont plus susceptibles de surprendre le consensus à la baisse plutôt qu'à la hausse, notre message est de rester diversifié avec une inclinaison défensive afin de conserver la flexibilité d'acquérir des actifs risqués à des prix réduits, si une réinitialisation des attentes a lieu.

[1] Retours en monnaie locale, sauf indication contraire

[2] Inventé pour la première fois par Michael Hartnett, stratège en actions à la Bank of America

[3] Alphabet (f/k/a Google), Amazon, Apple, Meta (f/k/a Facebook), Microsoft, Nvidia, & Tesla. 

[4] Source : Bloomberg, Patrimonica

[5] Source : Idem

[6] Source : Morningstar, Investment Company Institute

[7] Source : Bloomberg Intelligence

[8] Source : Standard & Poor's

[9] Source : MSCI

[10] Source : Idem

[11] Source : Standard & Poor's, Patrimonica

[12] Fesenmaier, J, Smith, G (2002). « The Nifty Fifty Re-Revisited. » Journal of Investing 11, 3, 86-90.

[13] (1908 – 2006), auteur de plus de 30 livres, dont l'Affluent Society.

[14] Prévisions de Greg Boutle de BNP Paribas telles que compilées par StreetInsider le 27 décembre 2022.

[15] Prévisions de Tom Lee de FundStrat compilées par StreetInsider le 27 décembre 2022.

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