Revue des marchés du 2e trimestre 2025
Un nouveau pape, Léon XIV, a été élu, tandis qu'un autre (en quelque sorte), Warren Buffett, a annoncé sa retraite pour plus tard cette année. Même si vous avez choisi de ne pas prêter attention à ce qui se passait dans l'orbite de Donald Trump, vous pensiez probablement que c'était un trimestre haletant et que la plupart des nouvelles étaient positives. Voici quelques-unes notables :
L'inflation n'a pas augmenté autant que les experts les plus pessimistes l’avaient prévu et, en réponse, les participants au marché ont commencé à escompter davantage de baisses des taux.
Les dépenses en immobilisations liées à l'IA des hyper scalers ont continué de progresser de manière fulgurante, ce qui a forcé Wall Street à minimiser l’impact de l'incertitude à court terme et à revoir discrètement à la hausse ses attentes de bénéfices pour les trimestres futurs.
Le nombre de conteneurs en provenance d'Asie arrivés au port de Los Angeles ne s'est pas effondré aussi dramatiquement qu'on le craignait.
Le volume de demandes de prêts hypothécaires semble avoir atteint son point le plus bas malgré des taux à long terme obstinément élevés.
La One Big Beautiful Bill Act (« OBBBA ») a été entériné sans trop de heurts avec ses réductions d'impôts immédiates bien senties (et ses réductions de dépenses retardées). Heureusement, l’article 899 dont nous avons parlé séparément dans une note envoyée à nos clients en juin 2025, a été retiré.
Les États-Unis ont plus ou moins réussi à dénucléariser l'Iran dans une opération militaire visant les installations d'enrichissement d'uranium du pays. La réaction initiale du marché, ou son absence, a été atypique par rapport aux escalades précédentes entre les États-Unis et l'Iran ou entre Israël et l’Iran. Nous croyons que cela traduit la perception que l'Iran a perdu sa capacité de réagir militairement à l'extérieur de ses propres frontières et a peut-être perdu le soutien politique intérieur pour le faire.
Dans ce contexte, l'indice MSCI All Countries World[1] a bondi de 9,35 % au cours du deuxième trimestre. En revanche, l'indice S&P 500 à rendement total net s'est remis de sa léthargie au premier trimestre avec un gain de 10,83 %, tandis que l'indice composé S&P TSX a progressé de 8,53 %. Gardez à l'esprit que ces chiffres de performance incluent les baisses de plus de 10 % subies dans les quelques jours qui ont suivi la célèbre annonce du Jour de la libération de Trump. Une autre chose à mentionner est que le leadership des grandes capitalisations technologiques a été restauré, la performance des actions de style croissance surpassant largement celle des actions de style valeur. Soulignons que la surperformance des actions des grandes capitalisations technologiques persiste au début du troisième trimestre, car la rumeur voulait que la Maison-Blanche assouplisse l’interdiction précédemment annoncée de vendre les puces H20 de Nvidia à la Chine. Nvidia a naturellement profité de la rumeur et est devenue la première société publique à atteindre une capitalisation boursière de 4 trillions de dollars américains. Validant davantage le thème de l'IA, CoreWeave, Inc. (Nasdaq : CRWV), un bailleur de puces informatiques haut de gamme pour des utilisateurs tiers et qui a réalisé son premier appel public à l'épargne (« PAPE ») à la fin mars, a vu sa capitalisation boursière quadrupler au cours du deuxième trimestre. Par ailleurs, Meta a pris une participation dans Scale.AI d'une valeur de plus de 14 milliards de dollars.
Un autre développement digne de mention au cours du trimestre est l'accélération du fléchissement de valeur du dollar américain, comme l'indique l'indice Bloomberg du dollar américain. À ce stade, le dollar américain, qui avait déjà perdu -2,71 % au premier trimestre, a baissé de -6,60 % au deuxième trimestre, entraînant un repli cumulatif de plus de 9 % depuis le début de l'année par rapport à un panier de devises des marchés développés- sa pire performance depuis le début des années 70.
Les lecteurs se souviendront peut-être que, depuis plus d'un an, nous positionnons les portefeuilles de manière à minimiser l'impact potentiel d'une baisse du dollar américain par rapport au dollar canadien sur les portefeuilles des clients. Nous l'avons fait principalement en remplaçant des versions non couvertes des fonds d'actions mondiales par des versions couvertes en dollars canadiens des mêmes fonds, lorsque ces versions étaient disponibles et qu'il était judicieux de procéder ainsi sur le plan fiscal. Bien que cette stratégie d'atténuation des risques a été fructueuse jusqu'à maintenant, nous sommes de plus en plus préoccupés par l'augmentation des coûts associés à cette stratégie. La raison en est que le coût de la couverture contre les fluctuations des taux de change au cours d'une période donnée dépend principalement des écarts de taux d'intérêt à court terme pondérés dans le temps entre les deux pays au cours de cette période. À la même période l'an dernier, le taux directeur cible de la Banque du Canada était de 4,75 %, tandis que le taux cible des fonds fédéraux de la Réserve fédérale s'établissait à 5,50 %. Cela se traduisait par un coût annualisé approximatif de 0,75 %,[2] ou 0,06 % par mois d'un point de vue canadien, si rien ne changeait au cours de l'année. C'était raisonnable. Aujourd’hui, le taux directeur cible de la Banque du Canada est de 2,75 %, tandis que le taux cible des fonds fédéraux de la Réserve fédérale est de 4,50 %. Cela signifie que le coût est passé à 1,75 % par an ou environ 0,15 % par mois. Ce n'est plus raisonnable. En même temps, nous avons déjà assisté à un ajustement important de la valeur du dollar américain et, bien que nous croyions qu'il continuera d'être sous pression à mesure que les dirigeants étrangers s'ajusteront à la nouvelle version de la politique étrangère de la Maison-Blanche, nous nous demandons si le dollar américain continuera de se déprécier par rapport au dollar canadien à un rythme supérieur au coût de la couverture contre celui-ci. Dans cette optique, dans les portefeuilles discrétionnaires, nous pourrions revoir la stratégie et renverser sélectivement une partie de la version couverte en dollars canadiens des stratégies d'actions mondiales mises en œuvre au cours des douze derniers mois.
DAVID RICARDO EST MORT (AVEC EXCUSES À BAUHAUS)[3]
Quand j'étais jeune, je dois avouer que j'ai eu un épisode punk. L'un des groupes qui me fascinait était Bauhaus. Je ne le savais pas à l'époque, mais le groupe est devenu un signe avant-coureur de la musique rock gothique. Peter Murphy, le chanteur principal, a déclaré dans une entrevue avec le webzine musical Kerrang! il y a quelques années, qu’il y avait deux thèmes entrelacés dans son célèbre premier single intitulé Bela Lugosi's Dead. L'un porte sur la tragédie de la carrière hollywoodienne de l'acteur américano-hongrois Bela Lugosi et l'autre sur le concept de vie éternelle, métaphoriquement. Dans la vraie vie, Lugosi a eu du mal à obtenir des rôles significatifs après son interprétation du comte Dracula dans la première adaptation fidèle au grand écran en 1931 du roman de Bram Stoker. À sa mort en 1956, il ne pouvait pas être dissocié de son personnage de scène si bien qu’il a été enterré avec sa cape, tandis que son personnage a survécu en tant qu'icône de la culture pop.
David Ricardo n'était pas un acteur hollywoodien et il n'a pas vécu une vie trop tragique, même s'il a été renié pour s'être marié en dehors de sa religion et qu'il est mort à un âge relativement jeune d'une triviale infection de l'oreille interne. Ricardo était un économiste et homme politique britannique influent du début du XIXe siècle qui a introduit l'idée que les nations ne devraient concentrer leurs ressources productives que dans les industries où elles ont la plus grande efficacité par rapport à leurs propres utilisations alternatives des ressources[4]. Il a soutenu que le commerce international est toujours bénéfique, même si un pays est plus compétitif dans tous les domaines que son homologue commercial. Sa vision était que de nombreux avantages mutuels découlaient de la spécialisation. Le concept est devenu plus tard connu sous le nom de « théorie des avantages comparatifs » et a été l'un des aspects fondamentaux de la création du General Agreement on Tariffs and Trade (« GATT », Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) en 1947 et de son évolution pour devenir l'Organisation mondiale du commerce, en 1995. Les idées de Ricardo ont remis en question avec succès la théorie mercantiliste qui avait prévalu au sein des empires coloniaux pendant deux siècles et selon laquelle, le seul but du commerce international était de générer des excédents pour acquérir et accumuler des réserves d'or et d'argent.
La tragédie est que la vision de Ricardo, qui a apporté au monde des décennies de vents favorables déflationnistes et d'augmentation du niveau de vie moyen, se décompose et s'effondre tranquillement avec la rationalité acquise au cours du siècle des Lumières pour alimenter le théâtre populiste. Nous avons déjà écrit[5] que même si les tarifs douaniers (ou la menace de tarifs douaniers) sont ce qui définit la 47e présidence américaine aux yeux du public, cela n'aura pas autant d'impacts durables que la décision du président de renoncer au soft power des États-Unis dans les questions plus larges de politique étrangère. Pour le dire directement, le niveau des droits de douane envisagé par la Maison-Blanche pour certaines industries ou certains pays mettra en péril leur survie même. De ce seul point de vue, ils ne sont pas viables. En fait, ils sont si ridicules que les dirigeants étrangers ne peuvent même pas logiquement les considérer comme des offres d'ouverture à partir desquelles négocier des concessions, puisque l'administration américaine semble de toute façon déterminée à maintenir une incertitude persistante pour obtenir encore plus de concessions plus tard. Dans ces circonstances, pourquoi même envisager de s'asseoir à la table pour négocier et chercher un terrain plus stable si l'autre partie ne peut garantir la fin du chaos après la conclusion d'une entente? Il n'est donc pas surprenant que, plus de trois mois après le Jour de la Libération, la Maison-Blanche ne puisse revendiquer la victoire que pour un accord commercial limité avec le Royaume-Uni, signé le 9 mai, couvrant les exportations britanniques d'automobiles et d'acier vers les États-Unis, mais qui ne dit rien sur la question plus large du tarif général de 10 % appliqué à presque toutes les importations américaines en provenance du Royaume-Uni.[6] Les participants au marché, les chefs d'entreprise et les dirigeants étrangers semblent rejeter le sérieux de l'administration américaine dans l'ensemble du processus et attendre qu'elle fasse marche arrière.
David Ricardo est mort, enterré au cimetière de Highgate, dans le nord de Londres. Mais comme le Dracula de Bela Lugosi, il projette une longue ombre. Sa théorie se cache toujours derrière toutes les statistiques commerciales. Il est peut-être passé de mode, mais son fantôme est toujours présent.
RETOUR AU CLUB DE L'ÎLE JEKYLL
Au cours du deuxième trimestre, le président Donald J. Trump a lancé une litanie sans précédent de plaintes contre le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, et l'institution elle-même. Ces plaintes étaient en grande partie motivées par son point de vue selon lequel le niveau des taux d'intérêt à court terme est beaucoup plus élevé qu'il ne devrait l'être et que cela cause un préjudice indu à la nation et, par ricochet, à sa plateforme. Dans certains de ses tweets les plus chargés d'émotion, il a tenté de forcer la main du président, l'a exhorté à démissionner, a indiqué qu'il cherchait activement des moyens de le congédier avant la fin de son mandat l'année prochaine ou a suggéré que son prochain remplaçant serait nécessairement quelqu'un qui réduirait rapidement le taux des fonds fédéraux.
Dans la mesure où l'intérêt des participants au marché à disséquer les décrets du président Trump relatifs aux tarifs commerciaux s'est estompé au cours du trimestre, leur intérêt pour son tollé public envers Powell qu’il avait lui-même nommé en 2017, a augmenté, en particulier lorsqu’il s’agit de participants du marché obligataire. Ce qu'ils disent au reste du monde, c'est qu'ils n'aiment pas les menaces à l'indépendance de la Réserve fédérale et qu'ils commencent à sentir qu'elle n'est plus à l'abri des pressions politiques. Ainsi, l'écart entre le taux implicite des contrats à terme sur les fonds fédéraux et les attentes de la Réserve fédérale d'ici la fin de 2026 s'est creusé. Au moment d'écrire ces lignes, le marché s'attend à ce que le taux des fonds fédéraux soit inférieur d'environ 0,50 % aux attentes des gouverneurs de la Réserve fédérale pour décembre 2026[7], ce qui implique que le marché croit que le remplaçant de Jerome Powell voudra réduire les fonds fédéraux plus agressivement que ne le justifient les données sur l'inflation et la croissance. À l'autre extrémité de la structure à terme des taux d'intérêt, pour les obligations du Trésor américain d'une échéance de 10 ans ou plus, nous assistons au phénomène inverse. En fait, les taux ont eu tendance à augmenter à la suite de chaque communication présidentielle ciblant la Réserve fédérale. Conséquemment, le rendement à l'échéance des obligations du Trésor américain à échéance de 30 ans a terminé le trimestre à 4,78 %, en hausse de près de 0,20 % par rapport à la fin du premier trimestre[8]. Peut-être que les taux à long terme auraient augmenté davantage n'eût été de la croyance du marché obligataire dans l'augmentation de la productivité réelle à long terme que procureront les développements de l'intelligence artificielle. Ce qui est clair, c'est que les acteurs du marché obligataire connaissent bien les risques qui peuvent survenir lorsqu'un banquier central est sous l'influence d'un homme fort. Le cas de la Turquie, après l'éviction de son gouverneur Murat Çetinkaya en 2019, sert de rappel constant.
Si Wall Street a toujours apprécié l'indépendance de la Réserve fédérale et respecté son œuvre, on ne peut pas en dire autant de Main Street, qui a toujours considéré la Réserve fédérale avec méfiance. C'est particulièrement vrai dans la communauté MAGA anti-élite, libertarienne et loyale à Trump qui souhaite que l'institution soit débarrassée de l'influence d'une coalition de banquiers puissants et que ses représentants soient forcés de répondre de leurs actes.
Ici, l'histoire se répète. En fait, la méfiance du public à l'égard des banques et des grandes institutions financières centralisées est une caractéristique relativement unique aux citoyens américains qui remonte à très loin. Par exemple, lorsque l'idée hamiltonienne centenaire d'une proto-banque centrale a été ressuscitée par le sénateur républicain et président du Comité des finances du Sénat, Nelson Aldrich, à la suite de la crise bancaire de 1906, la foule était si en colère que le groupe de six hommes qu'il a convoqué pour rédiger un plan de réforme du système bancaire du pays a dû se réunir secrètement au Jekyll Island Country Club au large des côtes de la Géorgie, à la fin de 1910[9]. Sur place, ils ont tous fait semblant d'être à la chasse au canard. Lorsque le sénateur Aldrich présenta son projet de loi à la Commission monétaire nationale au début de 1911, craignant des représailles contre les membres du groupe, il refusa de révéler qui avait participé à sa rédaction. Aucun des participants n'a admis que la réunion du Jekyll Island Club avait eu lieu avant les années 1930.
Il est ironique de constater que ce qui a mené à la création de l'une des institutions les plus puissantes et les plus utiles au monde ait dû être gardé secret à la population en général pour son propre bien. Peut-être faudrait-il laisser la Réserve fédérale à elle-même.
LE GENIUS ACT[10] EST-IL L'EMBRYON D'UN SYSTÈME BRETTON WOODS NUMÉRIQUE?
Depuis le début de l'année, il y a eu un regain d'enthousiasme pour l'écosystème des cryptomonnaies et du blockchain. En fait, avec une performance de 15,16 %, l'indice Bloomberg Bitcoin a été l'un des actifs financiers les plus performants au premier semestre de 2025. Quelques catalyseurs expliquent cela : un décret présidentiel américain établissant un groupe de travail chargé d'élaborer un cadre réglementaire fédéral pour le secteur, suivi d'un autre pour établir une réserve stratégique de monnaie numérique ont aidé, mais le développement le plus important a peut-être été l'approbation rapide du GENIUS Act par le Sénat américain qui s’est ensuite déplacé à la Chambre des représentants, qui devrait le fusionner avec son propre STABLE Act[11] et l'adopter avant la date limite souhaitée par le président Trump en août. Cette loi-cadre prévoirait l’ensemble des dispositions réglementaires pour les cryptomonnaies stables[12] de paiement au niveau fédéral et permettrait aux États-Unis de rattraper des initiatives similaires qui sont en cours dans d'autres pays depuis quelques années.
Le désir d'une législation survient alors que les cryptomonnaies stables deviennent de plus en plus courantes. Nous avons beaucoup écrit sur les cryptomonnaies dans le passé[13], et nous continuons de les considérer comme des instruments spéculatifs absurdes et hypervolatils parce qu'elles ne sont pas un actif producteur de flux de trésorerie, qu'elles ne peuvent pas être largement utilisées comme moyen d'échange de biens ou de services et qu'elles sont trop volatiles pour être considérées comme une réserve de valeur. Cela dit, en étant rattachés à une monnaie stable et légale comme le dollar américain, nous pouvons au moins admettre que les cryptomonnaies stables éliminent l'argument de la volatilité. Nous admettons également que, dans certains pays qui sont affligés par une inflation élevée ou par une infrastructure bancaire désuète et inflexible qui ne rend pas le dollar américain physique facilement accessible, le fait d'avoir une copie numérique du dollar américain comme alternative de paiement rapide 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pourrait être un argument puissant pour l'utiliser. Incidemment, les contributeurs d'un rapport complet du Citi Institute sur le sujet publié en avril[14] ont estimé que la valeur des cryptomonnaies stables pourrait passer de 230 milliards de dollars aujourd'hui à un scénario de base de 1,6 trillion de dollars en 2030, avec un scénario optimiste de 3,7 trillions de dollars.
Ces chiffres sont importants, car dans la mesure où les réserves que les émetteurs de cryptomonnaies stables doivent détenir contre d'éventuels rachats doivent être égales à au moins 100 % de la valeur en circulation des cryptomonnaies stables et doivent être investies dans des titres émis par le gouvernement américain à court terme, conformément aux dispositions du projet de GENIUS Act. Cela signifie qu'indirectement, la croissance de l'émission de cryptomonnaies stables entraînerait une croissance correspondante des réserves et, comme ces réserves, à leur tour, doivent être entièrement garanties par des titres émis par le Trésor américain, l'adoption des cryptomonnaies stables à grande échelle pourrait représenter une demande importante et surtout captive de bons du Trésor américain, ce qui pourrait s'avérer utile compte tenu des déficits supplémentaires causés par la mise en place de l'OBBBA.
Que les cryptomonnaies stables représentent un substitut au système de Bretton Woods[15] que le président Nixon a abandonné en 1971, c'est une autre histoire. Il faudrait une large adoption internationale et une intégration transfrontalière. De plus, les chances de voir un grand nombre de pays arrimer leur propre monnaie au dollar américain sont très faibles.
Néanmoins, pendant que l'épine dorsale réglementaire prenait forme, une frénésie spéculative s’est emparée de quelques actions de l'écosystème du blockchain. De ce point de vue, l'introduction en bourse de Circle Internet Group (NYSE : CRCL) le 5 juin à 31 $ US par action (environ 10 milliards $ US) s'est avérée opportune. La société, qui émet la cryptomonnaie stable USDC - le deuxième plus important en circulation après Tether - avait refusé, deux mois auparavant, une offre d'achat de son concurrent Ripple Lab valant la moitié de son prix d'introduction en bourse. Depuis, le cours de l'action a été multiplié par plus de six et la capitalisation boursière a atteint près de 60 milliards de dollars américains, soit douze fois le prix offert par Ripple Lab il y a 4 mois. La société, dont les revenus sont essentiellement constitués des intérêts gagnés sur les réserves détenues en garantie contre l'USDC émis, se négocie à plus de 35 fois les revenus des douze derniers mois. Si le président Trump arrive à ses fins avec la Réserve fédérale, les intérêts de Circle gagnés par cryptomonnaie stable émis diminueront considérablement. Ainsi, les actionnaires semblent parier sur une croissance phénoménale de l'émission d'USDC ou sur le succès de l'entreprise à vendre ses suites d'outils API[16] à un grand nombre d'utilisateurs corporatifs dans le monde. Nous nous demandons quelle proportion de la cohorte actuelle d'actionnaires de CRCL se souvient que l'USDC a perdu son ancrage au dollar américain après avoir révélé que 8 % de ses réserves avaient été déposées dans des comptes de la Silicon Valley Bank il y a un peu plus de deux ans. L’USDC a baissé de près de 15 % à ce moment-là.
Ailleurs, dans un schéma rappelant vaguement la fin des années 1990 lorsque de nombreuses entreprises en difficulté ont décidé d'ajouter dot.com à leur nom et ont ensuite profité de leur cours boursier gonflé pour émettre plus d'actions, des sociétés telles que Satsuma Technology (anciennement Tao Alpha), Bluebird Mining Ventures et Vinanz, - toutes cotées à Londres - ont vu le cours de leur action grimper temporairement de 500 % à 1000 %, après avoir annoncé qu'elles utiliseraient la cryptomonnaie dans le cadre de leurs opérations de trésorerie. Vinanz s'est même rebaptisé London BTC Company. Il convient de noter que la Financial Conduct Authority du Royaume-Uni impose de nombreuses restrictions aux investisseurs pour l’achat des fonds d'actions américaines et a interdit les obligations et les produits dérivés liés aux cryptomonnaies. Ces titres de pacotille représentent donc l'une des seules alternatives pour s'exposer au boom des cryptomonnaies, et certains émetteurs sans scrupules profitent de cette échappatoire. Plus près de chez nous, le chouchou d'antan de Bay Street, Goodfood, le pionnier national dans le domaine de la livraison de trousses de repas, a tenté quelque chose de similaire plus tôt cette année avant de voir son plan échouer lamentablement quelques semaines plus tard. Nous croyons que, pour la plupart d'entre eux, cela se terminera mal et que le cas de Michael Saylor (Strategy) est l'exception qui confirme la règle.
L'équipe d'investissement de Patrimonica
[1] Les rendements sont présentés en devise locale, sauf indication contraire.
[2] Les investisseurs du pays ayant le taux d'intérêt le plus faible assument généralement le coût de couverture correspondant au différentiel de taux d'intérêt, tandis que les investisseurs du pays ayant le taux d'intérêt le plus élevé saisissent le différentiel de taux d'intérêt grâce à leur stratégie de couverture.
[3] Un groupe de rock anglais formé à la fin des années 70 dont le premier single, Bela Lugosi's Dead, avec sa sonorité originale décalée et lugubre, est considéré comme l'un des signes avant-coureurs de la musique rock gothique.
[4] Ricardo, D., On the Principles of Political Economy and Taxation, Londres, 1817. (Titre de la traduction française : Des principes de l'économie politique et de l’impôt)
[5] Revue des marchés du 1er trimestre 2025 . Une note a également été envoyée le 7 mars 2025.
[6] Source : Dentons
[7] Source : Bloomberg
[8] Source : Bloomberg
[9] Source : Federal Reserve History: The meeting at Jekyll Island
[10] Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins Act (traduction libre : Guider et établir la loi nationale sur l'innovation pour les cryptomonnaies stables des États-Unis)
[11] Stablecoin Transparency and Accountability for a Better Ledger Economy Act (Traduction libre : Loi sur la transparence et la responsabilité des cryptomonnaies stables pour une meilleure économie des registres)
[12] Une cryptomonnaie stable (« stablecoin » en anglais) est un type de cryptomonnaie stable conçu pour avoir une valeur stable, souvent en étant rattaché à un actif stable comme le dollar américain ou l'or. Contrairement à d'autres cryptomonnaies qui subissent d'importantes fluctuations de prix, les cryptomonnaies stables visent à fournir une forme de monnaie numérique plus prévisible et plus fiable pour les transactions et comme réserve de valeur. Pour cette raison, les cryptomonnaies stables sont souvent présentées comme un dollar numérique ou de l'or numérique.
[13] Revue des marchés du 4e trimestre 2020 et Revue des marchés du 4e trimestre 2023
[14] Citi Institute, « Digital Dollars : Banks and Public Sector drive blockchain adoption », avril 2025
[15] Le système de Bretton Woods établit les règles des relations commerciales entre un groupe de plus de 40 pays. Il a prévalu de 1944 à 1971. Il s'agissait du premier décret financier entièrement négocié destiné à régir les relations monétaires entre États indépendants. Il exigeait que les pays participants garantissent la convertibilité de leur monnaie en dollars américains à moins de 1 % des taux de parité fixes, le dollar étant convertible en lingots d'or pour les gouvernements étrangers et les banques centrales à un prix fixe de 35 $ US l'once troy. Le président Richard Nixon a mis fin unilatéralement au système en 1971, car les réserves d'or avaient diminué au point de ne plus garantir la convertibilité du dollar américain au prix prescrit.
[16] Application Program Interface (Interface du programme d'application)
crédit photo : Wikimedia Commons - Portrait de Portrait de David Ricardo (1772-1823) par Thomas Phillips