Revue des marchés du 1er trimestre 2022

COMMENTAIRE ÉCONOMIQUE

Jusqu’à la sortie de leur album éponyme en 1991[1], Metallica était un groupe de trash métal plutôt marginal.  L’un des singles les plus populaires de cet enregistrement était la ballade rythmée Nothing Else Matters.  Deux événements ont laissé leur marque au cours du premier trimestre. Premièrement, le resserrement anticipé des conditions monétaires par la Réserve fédérale plus aggressif que prévu et deuxièmement, l’assaut militaire non provoqué de la Russie contre l’Ukraine. À part cela, nous pouvons affirmer en canalisant notre Metallica intérieur, nothing else mattered. En effet, ces deux événements combinés aux tensions persistantes dans les chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale, ont instantanément augmenté le risque d’un ralentissement économique, voire d’une récession. Ainsi, les marchés financiers se sont rapidement ajustés en fonction de la nouvelle réalité.

La plupart des marchés boursiers ont reculé au cours du premier trimestre. Plus précisément, l’indice MSCI All Countries World et l’indice S&P 500 ont chuté de -4,75 % et de -4,70 %, respectivement.  L’Europe (en raison de sa proximité avec l’épicentre du conflit entre la Russie et l’Ukraine) et les marchés émergents (parce que la Russie est l’un de ses principaux constituants) ont reculé davantage : le MSCI Europe et le MSCI Emerging Markets furent en baisse de -5,36% et -6,97%, respectivement.  Cependant, il y avait une exception notable dans un océan de rouge.  En effet, l’indice composé S&P TSX qui est surpondéré en financières et en ressources naturelles a pu enregistrer un gain de 3,84 %. La performance des marchés boursiers du Canada d’ailleurs éclipseé celle de tous les autres marchés développés en monnaie locale.  Mis à part le RTS russe qui a chuté de plus de 35% en roubles et nettement plus en dollars américains, l’indice Shanghai SE Composite s’est encore pointé en queue de peloton en vertu d’une chute de plus de 10% alors que le variant omicron mettait à mal la politique zéro covid de la Chine.

D’un point de vue stylistique, les actions de « valeur » ont nettement surperformé la « qualité » et la « croissance », les taux d’intérêt plus élevés ayant forcé les participants au marché à relever le taux d’actualisation utilisé pour calculer la valeur actualisée des flux de trésorerie futurs.  Plus précisément, l’indice MSCI World Value a reculé de -0,65 %, tandis que les indices MSCI World Quality et MSCI World Growth étaient en baisse, soit 8,39 % et 9,64 %, respectivement.

En ce qui concerne les titres à revenu fixe, l’évolution rapide du consensus sur la trajectoire attendue à des taux d’intérêt à court terme a eu des ramifications dévastatrices à travers tout l’univers.  Pour mettre les choses en perspective, le 31 décembre 2021, le consensus tablait sur 3 hausses de taux d’intérêt tout au long de 2022 aux États-Unis. Trois mois plus tard, le consensus tablait dorénavant sur 9 hausses en plus de la hausse de 0,25% qui avait déjà eu lieu en mars avec la prévision de taux terminal dépassant 2,50%.  Si le consensus actuel devait se concrétiser, il s’agirait du cycle de resserrement monétaire le plus agressif depuis 1981. Fait intéressant, malgré l’impact négatif que le conflit entre la Russie et l’Ukraine provoque déjà sur la croissance mondiale, au moins deux gouverneurs de la Réserve fédérale ont[2] publiquement réitéré l’intention de la banque centrale de faire front à l’inflation. Avec ceci à l’esprit, très peu de segments du marché des titres à revenu fixe, à l’exception des bons du Trésor, ont affiché des rendements positifs.   Par exemple, l’indice ICE Bank of America Merrill Lynch Global Government Bond a reculé de 4,74%, soit la pire performance trimestrielle affichée par les obligations d’État mondiales depuis 1980. Les obligations de sociétés se sont légèrement moins bien comportées, l’élargissement modeste de l’écart de crédit s’étant aggravé par les difficultés provoquées par la hausse des taux d’intérêt. Ainsi, l’indice ICE Bank of America Merrill Lynch Global Corporate  et l’indice ICE Bank of America Merrill Lynch Global High Yield ont reculé de 6,90% et 5,54%, respectivement. Tous les autres segments ont également clôturé le trimestre en repli prêts hypothécaires aux actions privilégiées. Le meilleur segment a été celui des prêts bancaires, l’indice Credit Suisse Leveraged Loan n’ayant perdu que -0,10% au cours du trimestre.

Les matières premières ont connu un trimestre spectaculaire, l’indice S&P GSCI s’appréciant de 33,13%, mené par le secteur de l’énergie qui a bondi de 46,10% en raison des  risques accrus liés à l’offre à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.  Le sous-indice des produits agricoles et celui des métaux industriels ont progressé de 21,90 % et de 17,70 %, respectivement.  En parlant de métaux industriels, le prix du nickel ont plus que doublé du jour au lendemain à un moment donné lorsqu’un participant majeur qui avait des positions à découvert trop importantes n’a pas pu faire face à des appels de marge, ce qui a incité son courtier à liquider la position du participant. Étonnamment, la bourse des métaux de Londres a d’abord suspendu les transactions avant de décider d’annuler sept heures de négociation, du jamais vu sur les marchés à terme. Un retardataire notable dans ce trimestre chaotique a été le sous-indice des métaux précieux qui a enregistré un gain de seulement 6,68%.

Enfin, les marchés des changes ont également connu une recrudescence de volatilité. Tandis que les mouvements entre le dollar canadien et le billet vert ont été relativement contenus, l’euro, en raison de sa proximité avec l’épicentre du conflit entre la Russie et l’Ukraine, a chuté de près de 5 % par rapport au billet vert à un moment donné avant de se redresser vers la fin du trimestre.  Curieusement, le yen japonais,  qui a eu tendance à se raffermir lors des épisodes précédents d’aversion au risque, a fléchi de 5% au cours du premier trimestre et a continué de s’affaiblir par la suite.

LA FINANCE MONDIALE ET LE COMMERCE MONDIAL SE MILITARISENT

On se souviendra du 24 février 2022 comme du jour où, pour la 1ère fois depuis 1945, un pays européen a lancé une attaque non provoquée contre un autre alors que la Russie lançait une frappe militaire dans les provinces orientales de l’Ukraine. Bien qu’à ce jour l’OTAN n’ait rien fait qui puisse être perçu par Moscou comme une confrontation militaire directe, comme l’envoi de troupes sur le sol ukrainien, de nombreux gouvernements et entreprises mondiaux ont rapidement imposé à la Russie une série de sanctions financières  draconiennes qui devraient avoir un impact plus dommageable sur la vie quotidienne des Russes qu’un conflit militaire. Parmi certaines des mesures les plus importantes, nous pouvons penser à UPS et FedEx qui ont décidé d’arrêter les livraisons aux clients russes, une décision qui a été copiée par les géants du transport de conteneurs Maersk et MSC quelques jours plus tard.  Les sociétés de produits de consommation Apple et Nike ont également interrompu leurs ventes à la Russie peu de temps après le début du conflit, tandis que le géant de la fabrication automobile Volkswagen a mis fin à sa production en Russie. Plus près de nous, bien qu’à plus petite échelle, la chaîne de dépanneurs Alimentation Couche-Tard, qui exploite quelques dizaines de magasins en Russie sous la marque Circle K, a également annoncé qu’elle cessait ses activités en Russie. Dans un geste encore plus surprenant, British Petroleum s’Est délesté de sa position de coentreprise dans l’exportateur de gaz russe Rosneft, ce qui se traduit par une radiation de sa valeur aux livres de 25 milliards de livres sterling dans le processus.  En outre, Norges Bank Investment Management, le fonds souverain de 1 300 milliards qui opère à l’intérieur de la banque centrale norvégienne, a annoncé qu’il se départirait de tous ses actifs russes.  Bien que British Petroleum et Norges aient pu subir des pressions de la part de leurs gouvernements respectifs, nous notons que les autres mesures ont été prises volontairement. Fait intéressant, pour bon nombre des acteurs mentionnés ci-dessus, les actions de Moscou ont fourni une occasion unique de présenter leurs valeurs ESG en mettant l’accent sur le « S », ou pilier social.  En fait, nous prévoyons que la pression interne et externe des intervenants sera si forte que ceux qui n’ont pas encore agi seront incités à à suivre la parade des sanctions financières.

Pourtant, comme si les sanctions imposées par le secteur privé ne suffisaient pas, les gouvernements du monde entier n’ont pas tardé à réagir.  Par exemple, l’Allemagne, qui avait été réticente à affronter Moscou sous la chancelière Merkel, a accepté d’exclure les banques russes du système de messagerie financière SWIFT et a annoncé une hausse immédiate de son budget du ministère de la défense à 2% du produit intérieur brut. Berlin a également suspendu le projet Nord Stream 2[3] et est revenu sur sa politique de ne pas fournir d’armes aux zones de conflit afin de pouvoir en faire parvenir à l’Ukraine.

Finalement, bien que l’Ukraine n’adhérera presque certainement jamais à l’OTAN, la politique étrangère expansionniste de Moscou a incité la Finlande et la Suède à annoncer qu’elles reconsidéreraient officiellement des demandes d’adhésion à l’OTAN.

Pour résumer, le nouveau consensus international est que la Russie est un État renégat et l’obsession médiévale de son homme fort de recréer la Russie de Pierre le Grand a induit beaucoup plus de répression financière domestique que ce que l’on aurait pu imaginer. Bien sûr, la Russie a des réserves monétaires impressionnantes, mais comme elle est coupée du reste du monde, elle tombera inévitablement dans une récession profonde et il faut prévoir que ses réserves seront épuisées dans les 18 à 24 mois qui suivent au rythme actuel.  Du moins, c’est le signal qui vient du prix des actifs financiers russes...  ceux qui peuvent encore être transigés.

MISE À JOUR DE LA STRATÉGIE

Il est inhabituel de voir les actions mondiales surperformer les segments du marché des titres à revenu fixe dans un marché sévèrement en baisse. De même, il peut être troublant pour des familles arborant un profil prudent de subir des pertes qui dépassent les pertes qui auraient été subies si elles avaient détenu un portefeuille plus agressif. Pourtant, c’est le type de résultats que les marchés financiers ont livrés dans le premier trimestre.

Dans cet esprit, nous soupçonnons que de nombreux investisseurs seront tentés de réduire l’exposition aux titres à revenu fixe au strict minimum. Ce serait une erreur. Bien que la récente baisse générale des titres à revenu fixe soit choquante d’un point de vue historique, elle ne devrait pas être surprenante à la lumière de la poussée d’inflation en cours qui vient d’être compliquée par la décision du Kremlin d’étendre son territoire à l’ouest. Ce qui nous surprend davantage, c’est plutôt l’ajustement relativement modéré que connaissent les actions compte tenu des changements radicaux qui se produisent à l’échelle mondiale.

En fait, nous pensons que, de manière générale, les actions sont vulnérables à ce stade, du moins par rapport à certains segments des marchés obligataires. Jusqu’à présent, bon nombre des arguments qui ont incité les participants au marché à privilégier les actions par rapport aux titres à revenu fixe ne s’appliquent plus. Peut-être le plus important (en faisant référence à l’une des deux choses qui ont eu de l’importance au cours du premier trimestre) est que les banques centrales ont commencé à augmenter  leur taux directeur et que la Réserve fédérale semble vouloir persister dans ses efforts pour réduire son bilan. Toutes choses égales par ailleurs, les injections de liquidités apparemment illimitées après la Grande Crise Financière qui ont profité aux actions plus que toute autre classe d’actifs sont sur le point d’être renversées. Certes, les nombreuses tentatives prédentes de la Réserve fédérale pour réduire son bilan ont échoué, mais il faut souligner que la Réserve fédérale n’avait pas à faire face à une inflation supérieure à 7% annualisée jusqu’à présent. Un autre argument qui n’est plus valable est que le rendement des dividendes sur les actions ne dépasse plus le rendement des bons du Trésor à dix ans. Par exemple, le rendement du dividende de l’indice S&P 500 était de 1,27 % au 31 décembre 2021 et a augmenté à 1,37 % au 31 mars 2022[4]. Par comparaison, le rendement à l’échéance des bons du Trésor à 10 ans est passé de 1,51 % au 31 décembre 2021 à 2,34 % au 31 mars 2022. En d’autres termes, après impôt, les titres à revenu fixe sont intéressants pour la première fois depuis un certain temps.  Cela ne veut pas dire que nous sommes pessimistes à l’égard des actions. En fait, même si les projections de croissance mondiale sont révisées à la baisse, les projections de bénéfices continuent d’être révisées à la hausse, ce qui peut sembler contre-intuitif dans un scénario d’inflation élevée, mais c’est parfaitement naturel, tant que les sociétés sont en mesure de transférer le coût plus élevé des intrants à leurs clients. Pou le moment, les sociétés semblent effectivement être en mesure de le faire. Les actions pourraient donc se redresser. Nous déclarons simplement que cette classe d’actif semble moins attrayante par rapport aux titres à revenu fixe qu’il y a quelques mois à peine.

Comme nous l’avons écrit précédemment, nous ne croyons pas au timing du marché et nous développons rarement des vues audacieuses qui se distinguent du consensus et qui conduisent à des ajustements importants du portefeuille. Cependant, dans notre lettre T4-21, nous écrivions:

 « ... les taux d’intérêt sur les taux des obligations d’État dont l’échéance varie entre 2 et 7 ans semblent trop bas par rapport aux attentes d’inflation sur ces horizons temporels. Soit les taux nominaux augmentent, soit les attentes d’inflation diminuent. »

Dans les mandats gérés discrétionnaires où nous avions la flexibilité de le faire, nous avons utilisé cette observation pour réduire modestement les titres à revenu fixe en faveur des fonds de couverture à la fin de 2021, ce qui a aidé car c’est coïncidemment la partie de 2 à 7 ans de la courbe des taux d’intérêt qui s’est corrigée le plus violemment au cours du premier trimestre.

Bien que l’augmentation de la partie court terme de la courbe des taux d’intérêt ne soit peut-être pas terminée, nous n’avons pas de convictions non-consensuelles majeures qui subsistent, si ce n’est la croyance que le régime de faible volatilité qui a caractérisé la décennie précédente sur les marchés financiers est peu susceptible de refaire surface.

[1] Aussi connu sous le nom de Black album qui a fait ses débuts au numéro un des palmarès dans dix pays et réalisant des ventes de 650 000 unités aux États-Unis au cours de sa première semaine.

[2] Le gouverneur William C. Dudley et le gouverneur Lael Breinard

[3] Un ensemble de gazoducs offshore en Europe, passant sous la mer Baltique de la Russie à l’Allemagne.

[4] Source : Bloomberg.

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